Par Mathieu Rochette
(Tiré de La prise en passant, vol. 2, no 1, printemps-été 2016)
MATHIEU :
En premier lieu, je te remercie de m’accorder ton temps. J’ai un respect infini pour tout ce que tu as entrepris. Les échecs ne seraient pas au même niveau sans ta contribution. L’intégrité, la détermination et le courage de tes opinions sont des caractéristiques que j’aime chez toi. Tu fais partie des gens qui m’inspirent. Quand je vois les succès que tu as récoltés tout au long de ta carrière professionnelle, ta vie familiale et ton implication sociale, cela me donne la volonté et l’espoir que c’est réalisable de faire avancer les choses.
Maintenant, j’aime bien commencer une entrevue par la question suivante : depuis quand les échecs font-ils partie de ta vie ?
ANDRÉ :
Mon premier contact avec les échecs a eu lieu à l’âge de 5 ans. J’ai trouvé un cavalier qui traînait au sous-sol de chez moi. C’est étrange, comment un souvenir peut rester ancré profondément en soi, et se manifester plusieurs années plus tard.
Lorsque j’ai commencé à travailler à la réception de l’Institut Louis-Braille à l’âge de 18 ans, j’ai vu des jeunes qui jouaient aux échecs dans une salle non loin de l’accueil. Cela m’intriguait et, en même temps, un souvenir chatouillait mon désir d’apprendre les règles de ce jeu.
Je me suis procuré le nécessaire et j’ai appris les rudiments de ce jeu de l’esprit avec le Père Jacques Ouellette. Je ne jouais pas beaucoup au départ. C’est environ 12 ans plus tard que j’ai vraiment commencé à jouer sur une base régulière.
Cela nous amène en 1971-1972, où j’ai suivi avec passion le championnat du titre mondial entre Fischer et Spassky. Comme beaucoup de personnes à l’époque, le fait d’avoir un champion Nord-Américain nous a donné une certaine motivation et un sentiment de fierté de jouer aux échecs.
Suite à cette lutte des titans, c’est là que je me suis inscrit à mon premier tournoi. C’était un tournoi à la ronde, qui avait lieu à Montréal. Nous étions quatre par catégorie, et peut-être que j’ai eu la chance du débutant, néanmoins, j’ai gagné mon premier trophée échiquéen. Nullement nécessaire de vous dire l’immense joie qui m’a submergé ce jour-là.
Par la suite, j’ai participé à plusieurs tournois avec des amis. À une certaine époque, Réal Dubois et moi étions inscrits au club de Longueuil. Nous avons participé entre autres au championnat de Montréal, à celui de Saint-Jean, le championnat ouvert du Québec, etc. J’ai toujours aimé la compétition. Par contre, aucune bourse ou titre ne peut surpasser le plaisir d’être avec sa gang toute la fin de semaine.
MATHIEU :
André, tu es l’un de ceux qui ont construit les échecs qu’on connaît aujourd’hui chez les handicapés visuels. Tu as enseigné cette belle discipline à un grand nombre d’individus dans le milieu. Comment cela a-t-il commencé ?
ANDRÉ :
En premier lieu, lorsque le Père Ouellette m’a enseigné les bases, j’ai tout de suite eu la piqûre. Pour t’impliquer dans quelque chose, il faut aimer ça.
Cela m’a été confirmé à ma première partie avec le jeune André Vincent, dans le cadre du tournoi organisé par Jean-Marie Lebel. Il m’a battu ! J’étais vraiment fâché. Toutefois, c’est à ce moment-là que j’ai découvert mon addiction à cette belle discipline.
Par contre, je tiens à préciser qu’à l’époque, j’étais un joueur, et pas du tout un membre de l’organisation. Il y avait Jean-Marie Lebel qui était la clé de voûte dans la communauté échiquéenne.
Ma première véritable implication dans les échecs débute avec mes premières années en tant qu’éducateur. Lorsque j’ai commencé à travailler pour l’Institut Louis-Braille, la direction nous a demandé d’instaurer des nouvelles activités. J’en ai profité pour enseigner les rudiments et les connaissances acquises au fil des années. Pour te dire que cela date de loin, il y avait un jeune fougueux du nom de Pierre Lambert. Sans en faire une longue énumération, certains joueurs, tels Alain Plourde, pour n’en nommer qu’un, savaient déjà tous très bien jouer. Probablement la seule contribution que j’ai apportée à leurs succès a été au niveau de leur confiance en eux-mêmes… à force de me battre à répétition !
MATHIEU :
Le malheur des uns fait le bonheur des autres !
ANDRÉ :
Exactement ça ! Pour terminer la réponse à ta question précédente, je trouvais que les échecs étaient un magnifique exutoire. L’activité donnait la chance aux pensionnaires de se rassembler et d’apprendre un autre type de discipline que le sport dans le gymnase.
MATHIEU :
Entre les années 80 et 90, les tournois d’échecs n’existaient plus dans notre milieu. Je ne tiens pas à relater les diverses raisons qui ont conduit à ce résultat. Ce qui m’intéresse, c’est de connaître la ou les raisons qui t’associent à la renaissance de notre belle discipline de l’esprit.
ANDRÉ :
Initialement, le tournoi a été remis sur pied par Richard Lavigne, lorsqu’il travaillait au RAAMM. Lorsqu’il a quitté ses fonctions, c’est Pascale Dussault qui a pris la responsabilité du tournoi échiquéen. Par la suite, Pascale m’a sollicité pour l’aider à maintenir le bon déroulement de l’évènement annuel. J’ai demandé à mes amis Alain Plourde et Jean-Marie Lebel de venir m’épauler. Quelque temps plus tard, André Vincent s’est joint à l’équippe.
MATHIEU :
Je me rends compte que j’avais une mauvaise information quant à la renaissance du tournoi échiquéen dans notre milieu. Pourquoi avais-je l’impression que c’était uniquement l’AARS qui s’en occupait dans les années 2000 ?
ANDRÉ :
Dans les faits, la structure du RAAMM a changé quelque temps après le premier tournoi d’échecs dans les années 90. Je ne voulais pas que les efforts déployés par tout le monde, ainsi que le tournoi lui-même, soient relégués aux oubliettes. Alors, l’AARS a pris en charge l’organisation de l’activité annuelle.
MATHIEU :
Si l’AARS s’en occupait, pourquoi as-tu collaboré à la création de l’AQJÉHV ?
ANDRÉ :
Les membres du conseil d’administration de l’AARS n’étaient pas des mordus d’échecs. Néanmoins, ils s’acquittaient année après année du bon déroulement du tournoi. Je savais également que le jour où j’allais quitter mes fonctions de président, ils n’auraient pas un énorme intérêt à maintenir l’événement. Je les comprends. C’est une tâche colossale d’organiser à toutes les années un tournoi d’échecs, surtout si tu n’es pas un fan inconditionnel de ce jeu. Encore une fois, l’activité était en péril. Je me sentais responsable. Il était important pour moi de trouver une solution à ce problème.
Ce qui a grandement aidé à la réalisation de mes espérances est la venue d’un Gaspésien nommé Émile Ouellet. Suite à de nombreuses discutions entre Alain, Émile et moi, nous sommes parvenus au consensus qu’il était nécessaire d’avoir une structure uniquement consacrée aux échecs. C’est là que l’idée de l’AQJÉHV a été mise sur la table. Je crois que Vous connaissez la suite. C’est en 2009 que l’association a vu le jour.
MATHIEU :
Dis-moi André, comment après 55 ans d’implication, as-tu réussi à maintenir cette passion échiquéenne ?
ANDRÉ :
Le sens des responsabilités. Je me rappelle les paroles de Gilles Roch dans les années 70 : « Ils devraient enseigner les échecs dans les écoles ! Il faut continuer, c’est un jeu parfait pour nous ! ».
À chaque fois qu’il est arrivé des situations problématiques ou une chance de faire progresser la cause des échecs, j’avais toujours Gilles, Jean-Marie et Paul-Émile Campbell en tête. Je ne voulais pas laisser tomber ces gens qui croyaient dur comme fer à la réussite de ce projet extraordinaire. Si on veut que notre milieu soit actif, il faut s’impliquer. Yvan Bourdeau et Danielle Lessard avec le CQPA à Québec sont un très bon exemple.
MATHIEU :
As-tu un rêve que tu n’a jamais réalisé et que tu aurais aimé accomplir ?
ANDRÉ :
Non. J’ai fait le plus dont j’ai été capable. Je crois que j’ai fait ce que je devais faire, et maintenant, ce sont les autres qui continuent. C’est une roue qui a commencé à rouler bien avant moi et qui continuera à rouler après moi. D’ailleurs, je suis très content d’assister à l’excellente implication de gens comme Émile Ouellet et Pierre Schram. J’ai connu ces deux messieurs lorsqu’ils avaient 11 ans !
Je sais que j’ai déjà mentionné Alain Plourde. Je tiens encore une fois à souligner sa grande implication. Quand je suis allé le chercher pour aider la cause des échecs, il ne m’a pas déçu. Il a travaillé très fort au succès des échecs chez les personnes handicapées visuelles.
Après le souper hommage que l’AQJÉHV m’a organisé, j’ai réalisé qu’il y avait une autre génération de jeunes joueurs. Je suis très confiant qu’ils vont à leur tour mettre l’épaule à la roue.
MATHIEU :
C’est impensable d’avoir une entrevue avec toi et de ne pas parler du souper hommage. Cela a été une soirée riche en émotions. Comment tu t’es senti pendant et après l’événement ?
ANDRÉ :
Au départ, je me sentais ambivalent. Pendant et après, j’ai réalisé que j’étais très attaché aux gens qui étaient présents, et je me suis également aperçu que c’était réciproque. Il n’y a pas de mots pour exprimer les émotions que j’ai eues cette soirée-là. C’est un des beaux moments que j’ai vécus dans ma vie.
Pendant que j’écoutais les remerciements et les témoignages, c’est à ce moment-là que j’ai pleinement pris conscience de mes actions passées. Malgré moi, j’ai fait des choses qui ont inspiré et aidé les générations me succédant, et finalement, c’est un peu la consécration de mes implications. Peut-être est-ce un peu d’orgueil, mais je suis très fier d’avoir contribué au mieux-être du milieu.
MATHIEU :
Pour terminer, qu’elle est la phrase-clé que tu aimerais partager avec quelqu’un qui désire s’impliquer dans une cause ?
ANDRÉ :
Être impliqué dans une cause, c’est comme un grand escalier. Il y a eu des personnes qui ont fait les fondations et les premières marches. Je crois que c’est important d’aller s’informer sur ce que ces individus ont fait, et après, continuer leur travail en ajoutant ta marche à ton tour.
N’ayez pas peur de vous impliquer. Il faut participer si on veut que les choses avancent et s’améliorent. Si vous travaillez en équipe, que vous êtes capables de faire des concessions, vous allez être capables de faire de belles et grandes choses.
Mon époque est terminée, et il y a déjà quelqu’un qui est sur la marche en haut de moi. Honnêtement, je suis très heureux de ça. C’est la preuve que les choses avancent, et c’est très bien comme ça. Bravo à tous, et continuez à vous impliquer. Quant aux autres, bienvenue au sein de notre grande famille.